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Critiques cinéma par Benjamin Adam

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2 octobre 2010

Simon Werner a disparu... - Fabrice Gobert


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            « On se fait des films à partir de rien… », voilà ce que nous raconte Simon Werner… Un élève disparaît et d’un coup, les histoires les plus folles sont inventées par chacun. Opposer le pouvoir de la fiction au banal du réel, l’idée était intéressante. Le souci est qu’elle est un peu trop bien démontrée. L’ « effet  soufflé », voilà ce dont souffre le film de Fabrice Gobert. Un suspens ça se ménage, ça se construit et se renouvelle. Gobert sait le préparer son suspens, il connaît la recette et nous sert d’emblée son film sur un plateau avec une scène d’ouverture magnifique. Une ambiance sombre et onirique, alors que l’on voit la silhouette d’une jeune adolescente marcher au rythme de la musique de Sonic Youth. Puis suit le mystère, un corps dans une forêt, des cris, la jeune fille s’enfuit quand une silhouette braque vers elle une lampe torche. Le suspens est à son comble, notre soufflé est beau, brillant, gonflé, bref…appétissant. Brusque cut et retour en arrière avec un carton affichant le nom d’un des personnages, « Jérémie »… l’histoire va d’abord être revécue depuis ses yeux jusqu’à ce point final où les questions sont restées sans réponses avant de suivre le même parcours avec d’autres personnages. L’idée n’a rien d’originale mais elle offre de nombreuses possibilités : raconter une même histoire sous différents points de vue, et ainsi jouer à contredire les attentes, changer les regards, multiplier les pistes et les fausses routes. Rien à voir avec Elephant où le changement de points de vue illustrait l’opposition entre routine et évènement, ou comment le quotidien peut se muer en horreur à tout moment. Ici, c’est jouer avec les projections du spectateur, sa capacité à raconter pour lui-même ce qu’il va se passer afin de mieux le surprendre.

         Passent quarante minutes, soit les deux premiers points de vue, et le soufflé gonfle encore. Il se charge d’innombrables questions, de multiples suppositions, prêt à craquer. Le spectateur, lui, est emballé, il veut savoir bien sûr… alors viennent les réponses. Il reste encore quarante autres minutes, mais elles arrivent déjà. Des réponses, servies comme on cocherait consciencieusement une liste de courses pour être sûr de n’avoir rien oublié, élucidant chaque mystère du plus récent au tout dernier, à savoir le titre du film. A chacune d’elle, le film se dégonfle un peu plus : « Ah oui… », « ah d’accord », « c’était donc ça », « en fait c’était lui », « ah, c’était seulement ça »... Certes, le point est prouvé, on cherche les raisons les plus folles là où il n’y a que des réponses simples. Mais fallait-il pour autant plomber de la sorte le rythme du film en opposant sa première et sa seconde moitié par des tons aussi différents ?

La multiplication des points de vue ? Génial pense-t-on au départ, alors que l’inattendu surgit dès le second protagoniste suivi. Plusieurs passages sont riches de ce qu’offre ce procédé, tel que cette scène perçue d’un côté et de l’autre d’une vitre, d’abord sans puis avec paroles, illustrant notre tendance à coller des mots sur des gestes. Puis c’est une phrase échangée entre deux ados qui change de sens, une fois un baiser partagé dont on ignorait l’existence, c’est un regard de pervers qui s’avère tendre, un ennemi qui se révèle amical, un proche dont les caresses deviennent synonymes de traitrise. Mais bien vite, les défauts et désavantages reprennent le dessus. Des répliques comiques sont répétées à chaque fois et ce qui était d’abord drôle devient rapidement exaspérant, quant à la narration, elle se construit autours de moments clés revenant régulièrement afin d’éviter la perte de repères du spectateur… et favorisant par la même la routine et donc l’ennui. Restent de jeunes acteurs pour la plupart excellent, une superbe bande-originale et une atmosphère type rentrée des classes, teintées de couleurs vertes et marron particulièrement douce et inquiétante au regard. Pour le reste, la déception donc… c’est ce dont nous parle Gobert et c’est ce qu’il produit. Démonstration par l’exemple… pas mauvais, mais difficile à apprécier.

 

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2 octobre 2010

Piranha 3D - Alexandre Aja

Pirahna_3D


Piranha 3-D est, dans toutes les grandes composantes son scénario (sexe, gore et humour noir) un film dans la droite lignée du cinéma horrifique des années 70, typique  de ce que l’on désigne par le terme de « cinéma bis ». Plus que le Piranha de Joe Dante, La Baie Sanglante de Mario Bava (1971) serait représentatif de cette filiation qui, la comparaison une fois faite, paraît évidente : un cadre estival, occupé par de jeunes et belles femmes aux corps magnifiques bientôt taillés en pièces par une terrible force maléfique. Un cinéma donc, caractérisé par une outrance et un second degré jamais dissipés. Cependant, la transposition de l’esthétique de ces films tentée par Aja semble rendue difficile par une certaine attitude propre à la plupart des spectateurs : l’attente du fond via une éducation par la forme. C'est-à-dire les préjugés conçus à partir du seul aspect visuel de l’image. Tel type d’image s’associera à tel type de film et souvent, tel grain, tel format, tel lumière peut rebuter car correspondant à une de ces idées préconçues. Et de la même façon, un spectateur sera plus apte à accepter une histoire si elle s’inscrit dans la forme visuelle qu’il lui attribue spontanément. Dans le cas du « cinéma bis », si les spectateurs friands du décalage offert par ces films sont nombreux, l’attente est celle d’une esthétique vieillie correspondant à la pellicule des années de production, comme si celle-ci était essentielle au genre (ce qui n’a pas de sens, les films n’étant pas « vieux » visuellement à l’époque de leurs sorties) : en témoigne le film de Robert Rodriguez, Planète Terreur (2007). Au-delà de l’esthétique particulière qu’offrent les rayures sur la pellicule et autre « vieillissements » complètement artificiels, est ainsi constamment rappelé le second degré à adopter vis-à-vis du film.

      Aja lui, ne vieillit pas sa pellicule. Au contraire, il offre une image extrêmement actuelle, celle des blockbusters estivaux dans lesquels sexe et horreur sont offerts sans aucune prise de distance comique. Le risque est gros : il s’agit de faire valoir l’intérêt de ces films « bis » pour ce qu’ils sont, nettoyés de la couche de nostalgie amusée que leur âge leur procure habituellement. Risque, car possible confusion du spectateur, perdu dans le regard à adopter : désabusé, devant un énième produit pour jeunes fournissant les mêmes ingrédients, ou extrêmement jouissif, comprenant que le ridicule évidant du film en est le propos même.

        Les codes, Aja les réactualise à merveille. Une montée progressive avant un climax de gore ; une exhibition sexuelle poussée à l’outrance, amenant plus à rire qu’à réellement admirer la plastique des actrices (Ah… le ballet sous-marin des sirènes) ; et surtout, la réactivation permanente du choc causé par les attaques des Piranhas à l’aide de mise-en-scènes ponctuelles et extrêmement variées des différentes morts. Car les piranhas, c’est bien, mais ça tourne rapidement en rond. Dévorations et démembrements prennent places en de petites saynètes dramatiques, associant suspens et chute horrifico-comique, se renouvelant par la variété des moyens utilisés (moteur de hors-bord, plate-forme flottante, parachute, etc.). C’est gore, c’est sanglant et c’est extrêmement fun !

        Un divertissement pur, c’est ce qu’offre Aja et c’est dans cette optique qu’est utilisée la 3-D. Et là aussi se retrouve une reprise de codes jugés vieillis. A l’heure où la 3-D pullule sur les écrans dans des films revendiquant « l’immersion » du spectateur… et donc par là-même l’oubli de la 3-D, Piranha3-D affirme clairement le rôle de divertissement qu’elle avait gardé dans ses premières manifestations. Et il faut le dire, dans les trois dernières années, Piranha 3-D est clairement le film où la 3-D nous est apparue la plus essentielle. Quel est l’intérêt d’une image stéréoscopique si elle est conçue de façon à empêcher le spectateur d’avoir conscience de sa présence ? « Elégance » de l’image nous dit Cameron… une fois sorti de la salle, le spectateur n’a de 3-D en tête que les premières images, celles où la transition se fait. Le reste du film ne le marque pas différemment que s’il l’avait vu sans lunettes (dont le prix par contre, reste bien en mémoire). Aja, quant à lui, « rappelle » la 3D, il l’efface pour brusquement la ramener au premier plan : titre flottant dans un bain de sang, câble jaillissant de l’écran, piranha nageant devant nos yeux. Et que dire des effets de profondeur lors des vues subjectives sous-marines à la place des poissons, assez forts pour nous faire imaginer ce qu’aurait été l’ouverture des Dents de la mer avec un relief semblable. Les souvenirs de 3-D sont certes isolés mais bien présents et résistent au test de la comparaison. Il apparaitra évident à tout spectateur que le même film sans relief perdrait de son intérêt de la même façon qu’un film comique aux répliques assassines perd de sa force une fois traduit en une autre langue. Alors que pour d’autres films, la 3-D reste un apport, ici c’est son absence qui serait un manque. Avec ce film, Aja en met plein la vue avec une attitude décomplexée qu’il serait dommage de ne pas adopter et, c’est d’autant plus vrai avec l’actuel prix de la 3-D, nous en donne clairement pour notre argent.


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2 octobre 2010

Toy Story 3 - Lee Unkrich

toy_story_3


Le souvenir que laisse un film peut prendre différentes formes. Il existe le souvenir de l’histoire, celui qui nous fait dire « je crois que je l’ai vu » quand on entend quelqu’un nous résumer un scénario, puis le souvenir visuel qui brusquement l’accompagne, fait d’images éparses que l’on se surprend souvent à avoir exagérées dans le sens du sentiment premier qu’elles nous avaient provoqué. Mais l’une des particularités de ce type de souvenirs est que souvent, plus le film nous a marqué, plus ce qu’il en reste dans notre mémoire n’est pas son contenu mais tout le contexte personnel et affectif qui a pu entourer son visionnage. On se souvient du lieu, du moment, de qui était là pour partager l’expérience, voire des mots prononcés après le visionnage mais pas des répliques ni de l’histoire dans ses détails.


Le premier Toy Story, par l’évènement qu’il représentait en étant le premier film en images de synthèse, possédait les arguments pour laisser un souvenir durable chez les spectateurs les plus âgés. Pour les plus jeunes, insensibles à la prouesse technique, la magie de l’histoire les avait tous poussés à croire pendant des semaines à la vie de leurs propres jouets. Et sans doute que tous ces spectateurs de la première heure gardent ainsi en guise de souvenir une histoire personnelle que chaque visionnage ravive avec la force de la nostalgie. La suite était excellente mais sans doute le souvenir qu’elle a pu laisser est-il encore plus flou, et typique de ce processus décrit : l’évènement reste vif dans la mémoire, le film moins. Pour ce troisième volet, Pixar a eu l’intelligence de miser entièrement sur cette particularité du souvenir cinématographique. Tout d’abord en en faisant un levier émotionnel particulièrement fort, renvoyant par son scénario même à la décennie écoulée depuis le premier épisode. Mais aussi, la difficulté du spectateur moyen à se rappeler clairement, ici non du premier mais du second épisode, offre aux scénaristes du film l’occasion de ne pas pousser très loin leurs recherches et d’en offrir non une suite mais plutôt une réécriture En effet, le spectateur dont la mémoire aura la particularité de tromper la thèse présentée ci-dessus en se rappelant dans tout ses détails le second opus de la saga éprouvera un désagréable sentiment de déjà-vu car si les personnages et les gags diffèrent, la ligne dramatique (comprendre la façon dont les évènements s’enchaînent et dont les enjeux des différentes séquences se présentent) est, elle, rigoureusement identique.


(Afin d’éviter les spoilers, la comparaison entre les deux épisodes pourra être lue dans la section des commentaires.)


         Venant d’une équipe qui nous avait jusqu’alors promis et offert des films associant originalité de création avec perfection de l’animation, ce renouvellement d’une histoire déjà racontée s’en trouve d’autant plus décevante. Il n’en demeure par moins que le potentiel comique et émotif reste du niveau des autres films Pixar. Le personnage de Ken à lui tout seul instaure une différence non négligeable avec le précédent opus et l’identification aux personnages s’organise sur trois générations entre la mère voyant son fils partir, avatar des spectateurs déjà adultes en 95, Andy sortant définitivement du monde de l’enfance comme ceux ayant grandi avec lui, ou la petite Bonnie, offrant elle aussi un miroir aux plus jeunes qui découvrent pour la première fois en salles l’aventure de cette bande de jouets. De même, si la ligne principale n’est pas neuve, quelques jalons qui la parcourent s’avèrent particulièrement savoureux : on citera le terrible singe alarme, personnage presque aussi terrifiant que le bébé araignée du premier opus, ou encore l’hérisson shakespearien que l’on aurait aimé garder plus longtemps à l’écran tant il représente à lui tout seul la folle et géniale absurdité des histoires qu’un enfant peut faire vivre à ses jouets.


       Malgré ces réserves donc, autant ne pas bouder son plaisir car il faut le reconnaître, rarement des films, dans l’attachement construit avec leurs spectateurs en instaurant un lien générationnel fort entre eux et leurs personnages, ont su ainsi produire cette joie à se sentir à nouveau enfant pendant une heure et demi.  Et tant pis pour les spectateurs dont la mémoire cinématographique ne garde ni images, ni sons car l’émotion sera plus forte pour celui qui reconnaitra dans le plan final clôturant cette histoire le même  plan qui l’avait ouverte il y a quinze ans .


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29 juillet 2010

Inception - Christopher Nolan

Inception



Total Recall de Paul Verhoeven, ExiStenZ de David Cronenberg… entre les deux se tisse une ligne sur laquelle se tient en équilibre Inception. Cette ligne, c’est celle des films jouant au jeu du « est-ce la réalité… ou bien un rêve ? » Le film de Nolan, lui, vacille, et aurait plutôt tendance à pencher dangereusement vers la tuerie martienne de Verhoeven. Dans les deux cas, ça commence avec une idée géniale, offrant une structure prometteuse : Schwarzie s’envoyait dans des rêves programmés pour s’offrir des vacances, DiCaprio lui s’emploie à les cambrioler jusqu’à ce qu’on le charge d’effectuer le contraire, à savoir insérer une idée dans un esprit plutôt que de la voler. Mais ces structures sont comme des cubes vides qu’il reste à remplir… et Nolan n’a hélas visiblement pas l’outil nécessaire pour le faire : l’imagination.  Or, nous dit le personnage campé par Tom Hardy, « il est impossible de faire une inception sans imagination »…


 Il y a quelque chose d’ironique dans Inception, dans la façon dont les personnages ont sans cesse l’air d’être plus conscient que leur créateur du potentiel que possède un tel scénario. Ellen Page joue une architecte, celle qui construit le rêve où la victime est plongée. Après une courte période pendant laquelle pour sa propre sûreté elle se refuse à plonger dans le subconscient d’autrui, elle finit par accepter l’emploi qui lui est proposé car, nous dit-on, trop attirée par le pouvoir qu’il lui offre : celui de la création pure, de façonner des mondes auxquels elle imposerait ses propres règles (bref, de faire du cinéma…). Néo n’était pas aussi libre dans la matrice, lui qui ne pouvait que courber les lignes d’un monde déjà dessiné. Mais que verra-t-on de cette création ? Nolan, comme son personnage, a les mains libres, il peut nous plonger où il veut, faire ce qu’il veut de nous… et il nous emmène dans un hangar, dans un hôtel, etc. Il finit même par contaminer ses propres personnages, ceux-ci perdant de la même façon tout talent créatif lorsqu’ils se retrouvent dans les Limbes, monde de « subconscient à l’état brut ». Prisonniers pour des années dans un univers vierge, tout ce qu’ils trouvent à y faire est d’y cultiver des immeubles…


Pourquoi cette absence de rêve dans les rêves ? Par souci de réalisme ? Car le rêveur ne doit pas avoir conscience qu’il est dans un rêve ? A nouveau ses personnages lui répondent : « Ce n’est qu’une fois réveillé que l’on prend conscience que le rêve était étrange ». C’est ce qui fait la magie du rêve, un univers où la situation la plus absurde est acceptée comme l’évidence la plus simple. Il ne s’agit pas pour autant d’offrir de l’extraordinaire à la pelle mais de laisser le spectateur avec cette sensation dérangeante que chacun a au réveil. Cronenberg l’avait compris, lui qui dans ExiStenZ avait justement traité le jeu-vidéo comme un rêve : un plat de batraciens pourris est servi à ses personnages mais nul ne s’en étonne, ils mangent les animaux et construisent une arme avec leurs ossements, tout naturellement. Il en ressortait un climat étrange, comme si le fantastique n’était plus reconnu comme tel et devenait une nouvelle réalité aussi crédible que la notre, rendant par effet boomerang celle-ci plus absurde.


Nolan, lui, fait l’inverse. Il traite le rêve comme un jeu vidéo, c'est-à-dire comme une copie réaliste de notre monde où tout ce qui sort du commun est mis en avant comme étant hors du commun. La partie onirique, purement rêve du rêve, ne tient qu’au trucage de cinéma : elle est ralenti, fond vert, image de synthèse, bref effet purement visuel vendu comme tel, collé d’une étiquette « vous vouliez du rêve, en voilà ! » Dans les blockbusters actuels, n’importe quel militaire surarmé court sur les murs au ralenti, Nolan va à peine plus loin. Une faiblesse d’autant plus dure à accepter que dans les moments forts de son film, sa caméra semble se libérer pour nous montrer ce dont il est vraiment capable, notamment dans une superbe scène où celle-ci flotte en apesanteur avec les personnages à travers les câbles d’un ascenseur, échappant soudainement au cadreur et à la grue qui la guidait jusqu’alors.


L'histoire reste prenante et la narration jamais poussive, parvenant à faire saisir toute la complexité du système sans tomber dans un didactisme lourd. Mais on en arrive à se demander si tout cela ne serait pas qu’un énorme pied-de-nez tant les possibilités offertes sont à la fois mises en avant et peu exploitées. L’architecte doit construire les rêves comme des labyrinthes, façon Maurits Escher, de quoi nous perdre dans des dédales logiquement illogiques… mais on n’aura finalement droit qu’à une misérable chute à la fin d’une poursuite. Autre idée à fructifier, sans doute la meilleure du film, celle selon laquelle des rêves emboités dépendraient les uns des autres. Un choc dans l’un influe sur le suivant et ainsi de suite. On aurait alors pu espérer mieux qu’une simple avalanche comme conséquence d’un saut en voiture dans un niveau de rêve précédent.  Il est souvent judicieux de juger un film selon ce qu’il propose, sur le terrain des autres films du même genre. Il faut donc reconnaître qu’en tant que film d’action, Inception se place haut puisqu’il offre des scènes haletantes et ce dans une intrigue d’une intelligence rare pour le registre. En tant que film « de rêve », il ne peut que décevoir par la pauvreté des idées qu’il plante dans un terreau aussi fertile que le monde onirique. Reste à savoir sous quel angle on souhaite le regarder.



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29 juillet 2010

La disparition d’Alice Creed – J Blakeson

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        L’ouverture est magistrale. En quelques minutes est déroulée sous nos yeux la préparation minutieuse d’un kidnapping : insonorisation de la chambre, installation du lit, achat des divers ustensiles. Les cadres sont géométriques, symétriques, les mouvements de caméra suivent les gestes comme s’ils longeaient des droites tracées à la règles… minutie et précisions, pas le droit à l’erreur. Mais l’angoisse se laisse sentir derrière ces gestes mesurés grâce à un montage nerveux fait de jump-cuts successifs. Rien n’a été dit encore sur les deux hommes que l’on voit ainsi opérer mais le principal moteur dramatique du film est déjà saisi : une mécanique si bien huilée ne peut appeler qu’un grain de sable.

        En une ellipse, Alice Creed, fille d’un riche anglais, est enlevée et séquestrée dans l’appartement prévu à cet effet. Un appartement, trois personnages. La disparition d’Alice Creed a quelque chose de théâtral dans son fonctionnement, fondé sur le principe du hors-champs, ici équivalent des coulisses. Rarement les trois sont ils ensemble à l’écran, que ce soit Alice que l’on sait présente de l’autre côté de la porte, ou l’un des kidnappeurs s’absentant pour quelques minutes afin d’organiser la remise de la rançon. A chaque sortie de champs (de scène), l’équilibre est rompu et les rapports de force changent mais seulement nous, spectateurs, en sommes témoins. Retournements de situation, révélations le temps d’une absence, puis retour au jeu à trois, mais avec des informations supplémentaires détenues de nous seuls et qui offrent une nouvelle lecture aux scènes observées, du moins pendant un premier temps. Car Blakeson s’amuse en nous laissant croire que nous possédons toutes les clés en main, que nous savons tout de ses personnages. La force d’Alice Creed réside dans la capacité du jeu des acteurs à façonner des personnalités que l’on pense avoir saisi pour les faire ensuite exploser en une seconde, et les reconstruire immédiatement. Vic, interprété par Eddie Marsan, reste le meilleur exemple de ces mutations soudaines : le même jeu, fait d’agressivité à l’égard de son compagnon, est d’abord interprété comme signe d’une domination pour devenir ensuite synonyme de soumission et de faiblesse une fois son passé connu. On en arrive à ne plus savoir qui est vraiment qui, quelles sont leurs intentions réelles, ce qu’ils savent vraiment et ce qu’ils laissent croire. De la position de spectateur omniscient, conscient des mensonges que les uns font aux autres, vient cette idée que nous aussi pourrions être les cibles de leur fausseté.

        Après l’ouverture en force, la mise en scène de Blakeson redevient plus sage, fondée sur des champs contre champs en cadres serrés, compressant les personnages dans cet espace clos. Le ton gris de la photo, l’absence de couleurs vives excepté le violet du pyjama de la victime, l’opposition de lumière entre la chambre et le couloir aident à la création d’une atmosphère étouffante. Mais Blakeson ne cherche plus autant à travailler le rapport entre ses personnages et son décor comme il avait pu le faire dans les premiers plans, et le travail chromatique se retrouve littéralement renvoyé au second plan. Revient par moment le montage nerveux, en particulier lors des disputes entre les deux hommes via la suppression de contre-champs mais, à l’instar de ses personnages, Blakeson limite la prise de risques et se contente d’être efficace au bon moment. C’est donc principalement par ses interprètes que La disparition d’Alice Creed reste en mémoire et par la sensation d’avoir eu droit au brouillon d’une œuvre prometteuse, à confirmer par l’élargissement sur la durée d’un film des quelques tentatives réussies isolées dans celui-ci.

 

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29 juillet 2010

Année bissextile – Michael Rowe

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Laura a 25 ans. Elle a quitté son village natal pour vivre à Mexico et y travailler comme journaliste. Sa vie se résume à son appartement dont les fenêtres sont autant de symboles d’une existence qu’elle désire sans pouvoir l’obtenir. Elle regarde à travers elles comme on regarde un film ou qu’on lit un roman et elle use ce qu’elle y voit pour construire une vie fantasmée qu’elle raconte au téléphone à sa mère. Laura a des hommes dans sa vie, ceux qu’elle rencontre le soir lorsqu’habillée avec une mini-jupe et des bottes, elle va jouer les gibiers nocturnes dans les clubs de la ville. La caméra, elle, reste dans l’appartement. La porte se ferme. Ellipse. Elle se rouvre pour laisser entrer Laura avec un inconnu. Ils baisent, il part, elle dort. Raviolis en conserves, coups de téléphones et les journées recommencent, cochées systématiquement sur un calendrier. Les croix noires se suivent, identiques, unissant les mois et les semaines en cette unique journée terrifiante de non-sens.


La première partie du film, c’est cette journée, dans sa répétition, ses habitudes. Le cadre reste fixe, sans aucun mouvement de caméra. Les passages d’une pièce à l’autre ne sont jamais montrés. Laura est successivement sur le lit, à table, sur le canapé, au téléphone. Des attitudes figées comme si à l’intérieur même de son appartement, elle ne se déplaçait que de point en point comme un pion sur un damier. Le monde extérieur, en perpétuel hors-champs, pèse contre les murs et se fait ressentir par ses irruptions ponctuelles via  le son du téléviseur ou la visite du petit frère. Il est le comparant que le spectateur oppose inconsciemment à ce quotidien de 40 m².


Puis arrive Arturo. Arturo n’est pas un autre homme. Quand il lui fait l’amour, il la frappe, il lui fait mal, mais une fois fini, il revient avec une canette qu’il lui offre et reste allongé à côté d’elle. Arturo est différent car lui revient. Petit à petit, un rituel s’installe entre les deux : il sonne, elle jette la clé et s’offre à lui dès qu’il entre. Suivent alors une violence, sans cesse plus insupportable, puis une tendresse que ni Laura ni le spectateur n’avait alors observée. La façon dont il la garde nue, entre ses bras, allongée en chien de fusil sur le canapé, attendrit autant qu’elle dérange par l’impossibilité qu’elle pose d’associer en un seul être le rôle du tortionnaire et celui de protecteur.


Année bissextile est un film qui piège son spectateur en l’invitant à concilier en des gestes uniques des sentiments radicalement opposés : le dégoût, la haine, la colère, la douleur ressentis face aux humiliations et aux tortures qu’Arturo effectue se doublent d’une douceur pour cette relation que l’on n’espérait plus voir arriver. Détester voir Laura souffrir, lui reprocher ces sévices, c’est lui refuser son amour et l’inviter à retourner à sa vie telle qu’on l’avait vécu avec elle jusqu’alors. Un retour à la normal qui serait aussi difficile pour le spectateur tant l’expérience filmique proposée est elle aussi différente : les cadres à présent sont plus libres, la caméra tombe à terre, surplombe, se colle contre les visages puis caresse les corps enlacés dans la lumière du téléviseur. Des dialogues entre deux personnages présents simultanément à l’écran prennent place et non plus seulement par téléphone, on entend des voix, des cris, l’image entre enfin en mouvement. La lumière elle aussi change, ce sont des bougies dans l'obscurité et non plus la lumière froide des autres jours. La nuit prend le pas et n’est plus l’objet d’ellipses. Le film, comme son personnage, se met enfin à vivre. A la répétition succède la gradation, chaque scène allant plus loin que la précédente dans l’horreur et l’amour.


Cette structure en deux temps, à la fois dans le contenu et dans la forme, est nécessaire pour créer cette insupportable situation où la torture et l’amour sont montrés en un seul et même plan. Elle a pour effet néfaste de rendre le film boiteux puisqu’il s’agirait presque d’endormir le spectateur pour mieux le réveiller avec force. Mais dès lors tout ce qui pourrait être perçu comme des faiblesses dans la première heure, comme répétitif et ennuyant, se trouve jugé différemment par la suite puisque étant l’instrument de la terrible force de ce film. Un film qui va jusqu’à pousser à l’extrême le paradoxe qu’il instaure : désirer le pire pour son personnage afin de lui offrir le mieux.


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30 juin 2010

Another Year - Mike Leigh

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L’amitié et la solitude, seul ou à plusieurs. Ces deux termes, Mike Leigh les fait jouer sur l’espace d’un an, une tranche de vie où se croisent une poignée de personnages. La solitude, c’est celle du couple que forment Gerry et Tom, solitude heureuse, à deux, coupés de tous en regardant la pluie tomber depuis l’abri au fond du jardin. Solitude que vient régulièrement rompre Mary, la collègue excentrique en mal d’amour et en déni complet de son propre âge. Amitié du couple envers l’excitée qui fond en larmes après quelques verres, indulgence puis colère quand elle cherche à séduire leur fils, Tom, lui aussi cherchant à briser sa propre solitude par une forme d’amitié qu’il appellerait amour.

Mike Leigh montre les limites, là où l’amitié pardonne, là où au contraire elle se doit d’agir, quitte à faire souffrir. Il évoque autant la joie de vivre que la peur de la vie. Des sentiments qui passent par les mots, au travers de dialogues où chaque phrase peut doubler son sens à l’aide d’un sourire complice adressé à un autre interlocuteur, mais qui se disent essentiellement par les regards. Ceux-ci se croisent en échanges presque télépathiques à travers le couple, ils signalent une détresse sans fin chez Mary, ils lancent des appels à l’aide involontaires ou de violentes réprobations sans que rien ne soit dit.

Les acteurs sont magiques dans ce film. On les sent aimés du réalisateur et aimant leurs personnages. C’est comme du théâtre et pourtant cela sonne vrai d’une façon effrayante. Des répliques drôles, des bons mots, des phrases qui tranchent et jamais la sensation d’avoir un scénariste en pleine extase qui soufflerait au creux des oreilles ses morceaux choisis. Tous se les approprient par ces jeux faits de regards et de sourires où l’on devine leurs passés respectifs, les « autres années » qui ont précédé celle-ci et qui les ont fait devenir qui ils sont.

Pourquoi alors Mike Leigh ressent-il le besoin de figer cette énergie dans des gros plans encadrant chaque visage en une suite de portraits ? Pour souligner ces échanges et ces non-dits ? Cela fonctionne dans les scènes où les émotions vacillent. Celle d’introduction par exemple où Imelda Staunton parle avec un psychiatre : le regard fuit, les doigts se tordent, chaque mot est un aveu impossible qu’il s’agit de cracher hors de soi. Alors le cadre enferme, rend cette solitude en effaçant l’interlocuteur qui n’est plus qu’une voix et une silhouette floue en amorce. De même, la colère de Gerry et de Tom quand Mary dépasse les limites : un regard entre eux, deux plans qui  éclipsent l’objet de leur désapprobation. Mais lors des moments de joie, de partage comme le dîner en extérieur pendant l’épisode estival, la caméra isole toujours aussi froidement quand on aimerait la sentir bouger avec nous de groupes en groupes, allant vers les uns et les autres, suivant un regard pour en attraper un autre. Au lieu de cela, elle découpe, tranche, oppose alors que tous communient.

Mike Leigh n’est plus aussi univoque que dans son Happy Go Lucky, ce n’est plus « ceux qui arrivent à être heureux » contre « ceux qui n’y arrivent pas ». La joie a son prix, qu’on paye nous-mêmes ou que l'on fait payer à ceux qui nous sont proches. Dommage que cette liberté gardée dans le propos ne soit pas toujours suivie par une mise en scène plus évolutive.


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30 juin 2010

Lola - Brillante Ma. Mendoza

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Lola (Grand-mère) Puring est dans un train pour rendre visite à des membres de sa famille qu’elle n’a pas vu depuis longtemps et leur demander de l’argent afin de faire libérer son fils, enfermé pour homicide. A côté d’elle dans le wagon, deux jeunes hommes, caméra à la main, choisissent les paysages à filmer afin de réaliser ce qui semble être un documentaire sur les conditions de vie des Philippins. On les entend décrire avec enthousiasme les bidonvilles et les images d’enfants nus courant entre les ordures qu’ils s’empressent d’imprimer sur leur pellicule. Une courte scène, située aux deux tiers du film, qui fonctionne comme en manifeste en forme de repoussoir tant la fiction de Mendoza puise sa force dans une esthétique à l’opposé de cette manipulation des images.

Là où ces deux documentaristes, prônant une image vraie, saisissent dans leurs cadres des éléments exprimant un point de vue précis et réducteur, Mendoza préfère la fiction mais traitée d’une façon particulière. Sa caméra à lui n’est pas sélective, elle survole. Les plans sont longs et c’est de cette raréfaction des cuts que nait l’essence documentaire du film : entre deux cadres entièrement liés à la fiction, saisissant deux visages lors d’un dialogue, des panoramiques successifs allant de l’un à l’autre caressent dans l’espace intermédiaire toute une réalité qui apparait sans jamais être mise en avant. Les enfants des rues, les maisons délabrés, les marchands de fruits, les voleurs, la solidarité entre habitants sont sans cesse vus mais jamais montrés comme sujets du plan. On en oublie que la fiction est fiction là où dans de nombreux documentaires, chaque image « vraie » fait émerger un doute sur la part d’artificialité nécessaire à sa saisie. Mendoza ne cherche pas à faire oublier sa caméra, il souligne sa présence et ainsi accroit la force persuasive de son histoire par la puissance du témoignage.

Mais parfois trop volatile, cette caméra tend à survoler aussi le cœur de film, c'est-à-dire l’aventure de ces deux grand-mère, l’une luttant pour payer un enterrement à son petit-fils assassiné, l’autre prête à tout pour libérer le sien responsable du meurtre. Le premier tiers du film reste égal dans ses différentes couches et ce double combat se fait voir sans relief par rapport à la toile de fond sur laquelle il se dessine. Il faut attendre la première rencontre des deux femmes, l’instant où l’objectif de l’une ne peut se réaliser qu’avec le concours de l’autre, pour qu’enfin la dimension dramatique du film nous saisisse pleinement. Mendoza a eu la bonne idée d’éviter toute confrontation brutale, pas de joutes verbales criardes entre les deux femmes, tout se fait dans un périmètre de distance impliquant autant haine que respect. Heureusement, quelques instants d’une grande intensité viennent jalonner le film et nous conduisent sans ennui vers ce dernier tiers : la traversée du cercueil dans les rues inondées de la ville, une pêche improvisée dans la case de Lola Sepa lors d’une veillée funèbre et surtout ces courts moments où le cadre se fige sur le visage d’une des deux femmes, crispé devant des situations d’une absurdité cruelle. Le flash d’un photomaton devient ainsi, dans une scène à la fois comique et terrible, le rappel de la vieillesse et du ridicule des obstacles qu’elle peut poser. Obstacles d'autant plus durs à accepter qu'ils ne sont insurmontables que pour elles.

 

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7 juin 2010

La Casa Muda - Gustavo Hernandez

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Quand on en vient au film d’horreur, les procédés utilisés pour obtenir l’effet escompté peuvent être réduits au nombre de trois : la surprise (ou effet-bus), aussi efficace que facile ; la pression qui consiste à ne pas laisser respirer le spectateur une seule seconde, le plus souvent dans les dix dernières minutes  du film jusqu'à la libération offerte par le générique (le labyrinthe de Shining, la chambre finale de REC, la cabane de Blair Witch), et enfin l'attente, soit la torture du spectateur espérant quelque sursaut pour désamorcer son inquiétude et qui n'arrive pas. Sur ce point, La Casa Muda, film d’horreur uruguayen, commence bien… très bien même. Car sur les 70 minutes de sa durée, il en passe bien deux tiers à ne miser que sur ce troisième procédé. Un parti pris à saluer tant il demande une participation active du spectateur, prêt à s’immerger entièrement dans le film.

 

         Laura arrive avec son père tôt dans la matinée dans une maison qu’ils doivent retaper afin de la mettre en vente. Ils se couchent dans le salon pour de se reposer quand Laura entend un son inquiétant, son père va voir et se fait immédiatement tuer. Alors Laura, seule, cherche. Quoi ? Elle ne sait pas et nous non plus. C’est là que l’idée de tourner le film en un plan séquence, décision qui aurait pu passer pour certes ambitieuse mais totalement inutile, prend tout son sens. La caméra nous transforme en compagnon de route, caché derrière l’épaule de la jeune fille : on ne voit que ce qu’elle voit, on ne sait que ce qu’elle sait. Rarement la mise en scène d'un film d'horreur aura permis une adhésion si forte au point de vue du personnage, plus encore que celle offerte par les vidéos amateurs de Blair Witch et Rec. L’attente qu’il se passe quelque chose est autant celle du personnage que la notre et ce qui pourrait paraître comme un vide scénaristique devient ainsi l’outil d’une obsédante errance dans cette « maison muette », vécue à la fois dans et devant l’écran.

 

       Dans cette optique, les procédés habituels tel que des caméras supposément subjectives semblant observer le personnage à son insu ne sont plus autorisés. L'absence d’évènements prend une importance considérable car l’écart habituel entre le spectateur qui sait que quelque chose va arriver et le personnage qui fonce droit dans le mur se trouve considérablement réduit. Elle ne sait pas où elle va, tourne en rond, sans cohérence comme un animal fou se heurtant au barreau de sa cage et le manque de consistance du scénario devient le vecteur même de la peur comme complète absence de sens. Et si ce plan séquence nous isole la plupart du temps dans un champs de vision presque identique à celui de Laura, il ne nous en libère sporadiquement que pour produire des effets originaux comme ce déboussolage complet lorsqu’un panoramique laisse successivement entrer l’héroïne par un bord puis par l’autre du cadre comme si elle s’était démultipliée. Le point de vue est alors mental, la désorientation visuelle ainsi créée correspondant à la panique de la jeune femme hésitant entre plusieurs chemins.

 

       Associez à cela une lumière matinale perçant les fentes des murs en des lames de poussières tremblotantes découpant l’obscurité et un thème au piano d’une simplicité glaçante, il y a de quoi être enthousiaste dans les premières minutes puis terrifié dès le premier quart d’heure. A moins que  le spectateur n'accepte de se laisser prendre par le film et reste réticent à cette atmosphère pesante.  Il sera sans doute rattrapé dans les dernières minutes, extrêmement intenses, bien qu'à l'inverse très décevantes du point de vue de l'innovation. Car l’attente ne peut suffire à tout un film et l’absence de sens n’est satisfaisante que s’il est prouvé qu’elle est autre chose qu’une simple lacune dans l'écriture. Il faut donc substituer la pression à l’attente et donner ne serait-ce qu’un bout d’explication aux évènements décrits... Sans creuser cette seconde nécessité, disons que la solution trouvée est tout sauf originale au point de désamorcer une grande partie du plaisir accumulé jusqu’alors. Quant à la puissance des dernières minutes, ses instruments rappellent trop les  différents films desquels La Casa Muda avait jusqu’alors réussi à se différencier pour n’être jugées que sur leur seule efficacité.

 

       C’est à l’intensité du souffle que nous laisse relâcher son générique que l’on mesure la puissance d’un film d’horreur. En ce cas-ci, cette expiration salvatrice se trouve désagréablement mêlée au soupir qu’entraîne toute déception, lorsqu’un film de ce genre parvient sur sa plus grande partie à élever nos attentes en une ascension égale à celle de la peur qu’il produit, pour finalement les désamorcer avant que celle-ci ne soit retombée.

 

 

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5 juin 2010

Outrage - Takeshi Kitano


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Le pluriel conviendrait plus au titre ce film, retour aux yakuzas pour Kitano qu’il avait abandonnés depuis Aniki en 2000. On est loin de l’histoire de vengeance et d’honneur souillé que le singulier nous laisserait supposer car dans sa générosité ce n’est pas un mais une multitude de ces « outrages » que nous offre Kitano. Traîtrises et coups bas plutôt, tous prémédités et motivés par des intérêts particuliers ayant clairement pris le pas sur un antique code de l’honneur qui n’existe plus que pour sa valeur formelle, trace d’une époque révolue où l’offre d’une phalange valait ce que désormais on ne peut racheter qu’avec des liasses de billets. Ce thème de la mutation des valeurs et des conflits générationnels aurait gagné à être exploité. Or, il ne fait que rarement surface à travers quelques scènes isolées ou par le biais de certains personnages. Celui qu’incarne le réalisateur, homme de main au service des grands chefs de famille, en est le principal média, balloté entre diverses missions contradictoires qu’il mène par devoir et confiance sans réaliser sa réduction progressive au rôle de marionnette.

        Kitano, plutôt que d’exploiter cette veine qui justifierait et soutiendrait le film à elle seule, préfère s’accrocher à la ligne directrice de son scénario à savoir la progressive montée dans la violence des affrontements entre familles censées être alliées mais que la vénalité pousse à vouloir toujours plus. Cela commence avec un léger différent, le grand chef refusant qu’un de ses lieutenants fraye avec un chef de gang qui joue aux dealers : pour régler le problème, on organise un de ces outrages afin de rassurer le patron… jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’en poussant un peu plus la chose, on pourrait obtenir une plus grande part du gâteau. Et ainsi de suite.

        Ce « ainsi de suite » résumerait bien le rythme que tient Outrage. Un rythme régulier, comme un escalier où chaque séquence serait une marche qui appellerait logiquement la suivante : outrage, réaction, réflexion. Une régularité qui rappelle le Casino de Scorsese et qui par moment produit un semblable plaisir, celui de l’anxiété, à la vue d’un affrontement, de ce que sera l’étape à venir que l’on sait déjà inévitable. Mais ces courts instants d’intensité ne suffisent pas à éviter l’aplanissement du film en un chemin crénelé, alternance entre passages dialogués et courtes explosions de violence. Rapidement un sentiment de routine s’installe qui nous guide, certes avec plaisir, mais sans grande surprise jusqu’au dénouement final.

        Outrage a de nombreux défauts mais sa violence n’a pas à figurer parmi eux, non seulement du fait que le genre en fait une nécessité mais surtout parce qu’elle demeure toujours intelligemment mesurée, sans-cesse cachée pour mieux jaillir en une soudaine éclaboussure sanguine. Toutefois, bien qu’efficace, la mise en scène de Kitano reste trop sage. Si elle bénéficie d’une superbe photographie, toute en froideur métallisée, peu de risques sont pris sur le plan esthétique. Les effets sont présents, hors-champs lors d’une exécution dans un sauna, fumée d’une arme envahissant l’écran, et fonctionnent… mais les quelques passages de grande réussite formelle les font paraître d’autant plus fades. C’est le cas en particulier d’une des nombreuses mises à mort, cette fois par décapitation : un unique plan large, tranché sur la diagonale par la frontière entre ciel et mer. Posée entre les deux et comme perdue dans la profondeur de champs, la voiture où se trouve la victime tandis que, ses gestes rythmés par une musique aérienne comme un appel à la méditation, le bourreau au premier plan prépare le dispositif de mise à mort. Associée au choc du meurtre, cette image se cloue instantanément dans notre rétine d’un coup sec. Une acuponcture visuelle bénéfique mais par doses homéopathiques quand on aurait espéré un traitement sur la durée.


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Critiques cinéma par Benjamin Adam
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