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Critiques cinéma par Benjamin Adam
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26 mai 2010

Tournée - Mathieu Amalric

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        La courbe. C'est cette forme qui résumerait le mieux le film de Mathieu Amalric. Tournée fonctionne en effet comme une apologie de la courbe, opposée au tracé rêche et efficace de la ligne droite. Courbe, d'abord, des rondeurs rebondies d'une troupe de stripteaseuses « new Burlesque » importées en France par un producteur sur le retour, dont les formes divergent fortement de la fameuse ligne que les femmes modernes s'efforcent de garder. Mais cette courbe, c'est aussi celle que suit le scénario, et qui se reflète sur la trajectoire géographique de cette tournée, grande parenthèse entourant l'ouest de l'hexagone, évitant Paris, objectif espéré et jamais atteint. Suivant cette voie, la narration se fait tordue, pleine de détours et de déviations qui finissent malgré tout par revenir au trajet principal, à l'image du protagoniste, jamais en place, toujours s'éloignant de ses protégées pour mieux les retrouver après une courte absence. Dans ces diverses digressions, des portes sont ouvertes, des routes sont tracées que l'on n'empruntera finalement pas, non parce qu'elles ne mènent nulle part mais parce qu'Amalric préfère nous couper dans notre élan afin de mieux faire voir que parmi toutes, seule compte celle de sa tournée. Si de cette façon, Amalric arrive à maintenir un rythme globalement continu, fait de ruptures et de relances, on regrettera peut-être que parmi ces nombreux détours dont il ponctue son histoire, celui qui creuse la relation entre Joachim le producteur et ses enfants nous garde au loin un peu trop longtemps et en arrive à éclipser un temps le reste des personnages.

        Le film surprend sans cesse par ces ruptures et ces fausses pistes, il surprend aussi par son humour. Un humour qui n'échappe pas à cette logique du décalage  en s'exprimant notamment dans des dialogues entre êtres aux trajectoires biaisées dont la rencontre éclot en des échanges d'une absurdité poétique : drague près d'une station service où l'on parle de meurtre, engueulade amoureuse pleine de folie, de méchanceté et d'amour vache entre la stripteaseuse Mimi le Meaux et son patron Joachim, ou encore cet hilarante discussion entre cette même Mimi et un informaticien maladroit au vocabulaire limité. Mais cet humour prend surtout forme, et c'est là que le film d'Amalric fait preuve d'une intelligence qui se fait rare, dans le rapport entre personnage et décor dont le décalage permet un burlesque que l'on trouve peu dans le cinéma actuel. Amalric sait prendre de la distance, à la fois dans son récit en laissant la place à des plans qui ne valent que pour eux-mêmes, mais aussi physiquement en éloignant sa caméra afin de faire passer en acte l'humour et la fantaisie contenus en puissance dans sa scène. C'est par exemple ce plan d'ensemble de bâtiments cubiques, énormes blocs occupant le cadre, au milieu desquels s'agitent les minuscules silhouettes des danseuses, toutes excitées parce que leurs pizzas viennent d'arriver. Plutôt que de s'appuyer sur le potentiel comique certain du regard que l'on suppose à la fois affolé et ravi du livreur devant ces femmes à moitié nues lui fonçant dessus, Amalric préfère garder un certain recul. Ainsi, les gesticulations de ces grandes poules en corset prennent une toute autre dimension au milieu de ce décor angulaire sans vie.

        Tournée invite à changer de regard, à regarder en biais et non plus droit devant soi pour voir toute ce qui fait qu'un être est tel qu'il est et qu'il a tendance à cacher.  Chose surprenante, nombreux numéros ne sont pas filmés de face comme pour un spectacle mais depuis la coulisse, entre les rideaux. Là où de face c'est une performance qui se montre, de profil ce sont les peurs, les faiblesses, les enjeux personnels qui se font voir. Et de la même manière que les numéros continuent hors de la scène dans les chambres et halls des hôtels, ce regard détourné qui lit entre les lignes traverse tout le film. C'est par exemple celui qu'échangent Mimi et Joachim lorsqu'ils sont seuls en voiture où chaque coup d'oeil vers le voisin semble vouloir percer la carapace dont les deux êtres se sont couverts et qui les sépare autant qu'elle fait d'eux des êtres semblables.

        Tournée est un film important pour cet humour et cette poésie qu'il est bon de (re)trouver. Si le film souffre des quelques maladresses qu'offrent les diverses digressions donnant parfois la désagréable sensation d'un colmatage entre séquences, le cri final d'Amalric dans la bouffée de plaisir qu'il entraîne arriverait presque à nous les faire oublier.

 

***-

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