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Critiques cinéma par Benjamin Adam
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29 juillet 2010

Année bissextile – Michael Rowe

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Laura a 25 ans. Elle a quitté son village natal pour vivre à Mexico et y travailler comme journaliste. Sa vie se résume à son appartement dont les fenêtres sont autant de symboles d’une existence qu’elle désire sans pouvoir l’obtenir. Elle regarde à travers elles comme on regarde un film ou qu’on lit un roman et elle use ce qu’elle y voit pour construire une vie fantasmée qu’elle raconte au téléphone à sa mère. Laura a des hommes dans sa vie, ceux qu’elle rencontre le soir lorsqu’habillée avec une mini-jupe et des bottes, elle va jouer les gibiers nocturnes dans les clubs de la ville. La caméra, elle, reste dans l’appartement. La porte se ferme. Ellipse. Elle se rouvre pour laisser entrer Laura avec un inconnu. Ils baisent, il part, elle dort. Raviolis en conserves, coups de téléphones et les journées recommencent, cochées systématiquement sur un calendrier. Les croix noires se suivent, identiques, unissant les mois et les semaines en cette unique journée terrifiante de non-sens.


La première partie du film, c’est cette journée, dans sa répétition, ses habitudes. Le cadre reste fixe, sans aucun mouvement de caméra. Les passages d’une pièce à l’autre ne sont jamais montrés. Laura est successivement sur le lit, à table, sur le canapé, au téléphone. Des attitudes figées comme si à l’intérieur même de son appartement, elle ne se déplaçait que de point en point comme un pion sur un damier. Le monde extérieur, en perpétuel hors-champs, pèse contre les murs et se fait ressentir par ses irruptions ponctuelles via  le son du téléviseur ou la visite du petit frère. Il est le comparant que le spectateur oppose inconsciemment à ce quotidien de 40 m².


Puis arrive Arturo. Arturo n’est pas un autre homme. Quand il lui fait l’amour, il la frappe, il lui fait mal, mais une fois fini, il revient avec une canette qu’il lui offre et reste allongé à côté d’elle. Arturo est différent car lui revient. Petit à petit, un rituel s’installe entre les deux : il sonne, elle jette la clé et s’offre à lui dès qu’il entre. Suivent alors une violence, sans cesse plus insupportable, puis une tendresse que ni Laura ni le spectateur n’avait alors observée. La façon dont il la garde nue, entre ses bras, allongée en chien de fusil sur le canapé, attendrit autant qu’elle dérange par l’impossibilité qu’elle pose d’associer en un seul être le rôle du tortionnaire et celui de protecteur.


Année bissextile est un film qui piège son spectateur en l’invitant à concilier en des gestes uniques des sentiments radicalement opposés : le dégoût, la haine, la colère, la douleur ressentis face aux humiliations et aux tortures qu’Arturo effectue se doublent d’une douceur pour cette relation que l’on n’espérait plus voir arriver. Détester voir Laura souffrir, lui reprocher ces sévices, c’est lui refuser son amour et l’inviter à retourner à sa vie telle qu’on l’avait vécu avec elle jusqu’alors. Un retour à la normal qui serait aussi difficile pour le spectateur tant l’expérience filmique proposée est elle aussi différente : les cadres à présent sont plus libres, la caméra tombe à terre, surplombe, se colle contre les visages puis caresse les corps enlacés dans la lumière du téléviseur. Des dialogues entre deux personnages présents simultanément à l’écran prennent place et non plus seulement par téléphone, on entend des voix, des cris, l’image entre enfin en mouvement. La lumière elle aussi change, ce sont des bougies dans l'obscurité et non plus la lumière froide des autres jours. La nuit prend le pas et n’est plus l’objet d’ellipses. Le film, comme son personnage, se met enfin à vivre. A la répétition succède la gradation, chaque scène allant plus loin que la précédente dans l’horreur et l’amour.


Cette structure en deux temps, à la fois dans le contenu et dans la forme, est nécessaire pour créer cette insupportable situation où la torture et l’amour sont montrés en un seul et même plan. Elle a pour effet néfaste de rendre le film boiteux puisqu’il s’agirait presque d’endormir le spectateur pour mieux le réveiller avec force. Mais dès lors tout ce qui pourrait être perçu comme des faiblesses dans la première heure, comme répétitif et ennuyant, se trouve jugé différemment par la suite puisque étant l’instrument de la terrible force de ce film. Un film qui va jusqu’à pousser à l’extrême le paradoxe qu’il instaure : désirer le pire pour son personnage afin de lui offrir le mieux.


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