Piranha 3D - Alexandre Aja
Piranha 3-D
est, dans toutes les grandes composantes son scénario (sexe, gore et humour noir)
un film dans la droite lignée du cinéma horrifique des années 70, typique de ce que l’on désigne par le terme de
« cinéma bis ». Plus que le Piranha de Joe Dante, La Baie Sanglante
de Mario Bava (1971) serait représentatif de cette filiation qui, la
comparaison une fois faite, paraît évidente : un cadre estival, occupé par
de jeunes et belles femmes aux corps magnifiques bientôt taillés en pièces par
une terrible force maléfique. Un cinéma donc, caractérisé par une outrance et
un second degré jamais dissipés. Cependant, la transposition de l’esthétique de
ces films tentée par Aja semble rendue difficile par une certaine attitude
propre à la plupart des spectateurs : l’attente du fond via une éducation
par la forme. C'est-à-dire les préjugés conçus à partir du seul aspect visuel
de l’image. Tel type d’image s’associera à tel type de film et souvent, tel
grain, tel format, tel lumière peut rebuter car correspondant à une de ces
idées préconçues. Et de la même façon, un spectateur sera plus apte à accepter
une histoire si elle s’inscrit dans la forme visuelle qu’il lui attribue
spontanément. Dans le cas du « cinéma bis », si les spectateurs
friands du décalage offert par ces films sont nombreux, l’attente est celle
d’une esthétique vieillie correspondant à la pellicule des années de
production, comme si celle-ci était essentielle au genre (ce qui n’a pas de
sens, les films n’étant pas « vieux » visuellement à l’époque de
leurs sorties) : en témoigne le film de Robert Rodriguez, Planète
Terreur (2007). Au-delà de l’esthétique particulière qu’offrent les rayures
sur la pellicule et autre « vieillissements » complètement
artificiels, est ainsi constamment rappelé le second degré à adopter vis-à-vis
du film.
Aja lui, ne vieillit pas sa pellicule. Au contraire, il offre une image extrêmement actuelle, celle des blockbusters estivaux dans lesquels sexe et horreur sont offerts sans aucune prise de distance comique. Le risque est gros : il s’agit de faire valoir l’intérêt de ces films « bis » pour ce qu’ils sont, nettoyés de la couche de nostalgie amusée que leur âge leur procure habituellement. Risque, car possible confusion du spectateur, perdu dans le regard à adopter : désabusé, devant un énième produit pour jeunes fournissant les mêmes ingrédients, ou extrêmement jouissif, comprenant que le ridicule évidant du film en est le propos même.
Les codes, Aja les réactualise à merveille. Une montée progressive avant un climax de gore ; une exhibition sexuelle poussée à l’outrance, amenant plus à rire qu’à réellement admirer la plastique des actrices (Ah… le ballet sous-marin des sirènes) ; et surtout, la réactivation permanente du choc causé par les attaques des Piranhas à l’aide de mise-en-scènes ponctuelles et extrêmement variées des différentes morts. Car les piranhas, c’est bien, mais ça tourne rapidement en rond. Dévorations et démembrements prennent places en de petites saynètes dramatiques, associant suspens et chute horrifico-comique, se renouvelant par la variété des moyens utilisés (moteur de hors-bord, plate-forme flottante, parachute, etc.). C’est gore, c’est sanglant et c’est extrêmement fun !
Un divertissement pur, c’est ce qu’offre Aja et c’est dans cette optique qu’est utilisée la 3-D. Et là aussi se retrouve une reprise de codes jugés vieillis. A l’heure où la 3-D pullule sur les écrans dans des films revendiquant « l’immersion » du spectateur… et donc par là-même l’oubli de la 3-D, Piranha3-D affirme clairement le rôle de divertissement qu’elle avait gardé dans ses premières manifestations. Et il faut le dire, dans les trois dernières années, Piranha 3-D est clairement le film où la 3-D nous est apparue la plus essentielle. Quel est l’intérêt d’une image stéréoscopique si elle est conçue de façon à empêcher le spectateur d’avoir conscience de sa présence ? « Elégance » de l’image nous dit Cameron… une fois sorti de la salle, le spectateur n’a de 3-D en tête que les premières images, celles où la transition se fait. Le reste du film ne le marque pas différemment que s’il l’avait vu sans lunettes (dont le prix par contre, reste bien en mémoire). Aja, quant à lui, « rappelle » la 3D, il l’efface pour brusquement la ramener au premier plan : titre flottant dans un bain de sang, câble jaillissant de l’écran, piranha nageant devant nos yeux. Et que dire des effets de profondeur lors des vues subjectives sous-marines à la place des poissons, assez forts pour nous faire imaginer ce qu’aurait été l’ouverture des Dents de la mer avec un relief semblable. Les souvenirs de 3-D sont certes isolés mais bien présents et résistent au test de la comparaison. Il apparaitra évident à tout spectateur que le même film sans relief perdrait de son intérêt de la même façon qu’un film comique aux répliques assassines perd de sa force une fois traduit en une autre langue. Alors que pour d’autres films, la 3-D reste un apport, ici c’est son absence qui serait un manque. Avec ce film, Aja en met plein la vue avec une attitude décomplexée qu’il serait dommage de ne pas adopter et, c’est d’autant plus vrai avec l’actuel prix de la 3-D, nous en donne clairement pour notre argent.
***-