Toy Story 3 - Lee Unkrich
Le souvenir que laisse
un film peut prendre différentes formes. Il existe le souvenir de l’histoire,
celui qui nous fait dire « je crois que je l’ai vu » quand on entend
quelqu’un nous résumer un scénario, puis le souvenir visuel qui brusquement
l’accompagne, fait d’images éparses que l’on se surprend souvent à avoir
exagérées dans le sens du sentiment premier qu’elles nous avaient provoqué. Mais
l’une des particularités de ce type de souvenirs est que souvent, plus le film
nous a marqué, plus ce qu’il en reste dans notre mémoire n’est pas son contenu
mais tout le contexte personnel et affectif qui a pu entourer son visionnage.
On se souvient du lieu, du moment, de qui était là pour partager l’expérience,
voire des mots prononcés après le visionnage mais pas des répliques ni de
l’histoire dans ses détails.
Le premier Toy Story,
par l’évènement qu’il représentait en étant le premier film en images de
synthèse, possédait les arguments pour laisser un souvenir durable chez les
spectateurs les plus âgés. Pour les plus jeunes, insensibles à la prouesse
technique, la magie de l’histoire les avait tous poussés à croire pendant des
semaines à la vie de leurs propres jouets. Et sans doute que tous ces
spectateurs de la première heure gardent ainsi en guise de souvenir une
histoire personnelle que chaque visionnage ravive avec la force de la
nostalgie. La suite était excellente mais sans doute le souvenir qu’elle a pu
laisser est-il encore plus flou, et typique de ce processus décrit : l’évènement
reste vif dans la mémoire, le film moins. Pour ce troisième volet, Pixar a eu
l’intelligence de miser entièrement sur cette particularité du souvenir
cinématographique. Tout d’abord en en faisant un levier émotionnel
particulièrement fort, renvoyant par son scénario même à la décennie écoulée
depuis le premier épisode. Mais aussi, la difficulté du spectateur moyen à se
rappeler clairement, ici non du premier mais du second épisode, offre aux
scénaristes du film l’occasion de ne pas pousser très loin leurs recherches et
d’en offrir non une suite mais plutôt une réécriture En effet,
le spectateur dont la mémoire aura la particularité de tromper la thèse
présentée ci-dessus en se rappelant dans tout ses détails le second opus de
la saga éprouvera un désagréable sentiment de déjà-vu car si les personnages et
les gags diffèrent, la ligne dramatique (comprendre la façon dont les
évènements s’enchaînent et dont les enjeux des différentes séquences se
présentent) est, elle, rigoureusement identique.
(Afin d’éviter les spoilers, la comparaison entre les deux épisodes pourra être lue dans la section des commentaires.)
Venant
d’une équipe qui nous avait jusqu’alors promis et offert des films associant
originalité de création avec perfection de l’animation, ce renouvellement d’une
histoire déjà racontée s’en trouve d’autant plus décevante. Il n’en demeure par
moins que le potentiel comique et émotif reste du niveau des autres films Pixar.
Le personnage de Ken à lui tout seul instaure une différence non négligeable
avec le précédent opus et l’identification aux personnages s’organise sur trois
générations entre la mère voyant son fils partir, avatar des spectateurs déjà
adultes en 95, Andy sortant définitivement du monde de l’enfance comme ceux
ayant grandi avec lui, ou la petite Bonnie, offrant elle aussi un miroir aux
plus jeunes qui découvrent pour la première fois en salles l’aventure de cette
bande de jouets. De même, si la ligne principale n’est pas neuve, quelques
jalons qui la parcourent s’avèrent particulièrement savoureux : on citera le
terrible singe alarme, personnage presque aussi terrifiant que le bébé araignée
du premier opus, ou encore l’hérisson shakespearien que l’on aurait aimé garder
plus longtemps à l’écran tant il représente à lui tout seul la folle et géniale
absurdité des histoires qu’un enfant peut faire vivre à ses jouets.
Malgré ces
réserves donc, autant ne pas bouder son plaisir car il faut le reconnaître,
rarement des films, dans l’attachement construit avec leurs spectateurs en instaurant
un lien générationnel fort entre eux et leurs personnages, ont su ainsi
produire cette joie à se sentir à nouveau enfant pendant une heure et demi. Et tant pis pour les spectateurs dont la
mémoire cinématographique ne garde ni images, ni sons car l’émotion sera plus
forte pour celui qui reconnaitra dans le plan final clôturant cette histoire le
même plan qui l’avait ouverte il y a
quinze ans .
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